Jacques Ferrier signe avec Villa Solea son premier projet de logement collectif, un programme axé « développement durable » conçu pour le compte du promoteur Nexity Apollonia, quand de mon côté, je vis dans cette aventure au long cours mon « initiation » d’acheteur en VEFA : « Ah, nous sommes donc dans la même « galère » ! », m’avait glissé l’architecte, en forme de boutade, lors de notre toute première et brève entrevue, pour la présentation de son livre consacré au Pavillon France.
Trois mois plus tard, c’est au sein de son cabinet d’architecture, dans le 13ème arrondissement parisien, que nous nous retrouvons pour échanger pendant une quarantaine de minutes, sur ce programme immobilier très prometteur qui devrait être livré d’ici la fin de l’année 2011 à Romainville (Seine-Saint-Denis).
(Entretien réalisé le vendredi 18 février 2011 à Paris)
Jacques Ferrier : « Je suis allé sur le chantier il y a un mois, et j’ai été très content de voir l’échelle du projet dans le site, car finalement l’un des grands thèmes du projet, c’est la construction de 130 logements avec quasiment pas de façade urbaine. Au départ, ce site était assez difficile à appréhender en raison de sa complexité : on avait 130 logements à créer alors que l’on a de la façade pour 15 ou 20 logements à peine.
Le projet Villa Solea, avec au premier plan, le bâtiment B3 (maquette présentée au showroom Nexity lors de la commercialisation)
Je trouve le grand bâtiment (NDR : B3), après avoir pu en apprécier le volume construit, assez harmonieux : il n’écrase pas l’environnement et s’insère dans cette parcelle, qui est très découpée, en lui donnant une lisibilité.
Depuis la rue Carnot, un premier axe se crée : le promoteur a accepté que l’on y construise mon petit portique. Le soir, quand l’on rentrera, on sera à l’abri de la pluie, il y aura de la lumière…
Depuis la rue Carnot (maquette présentée au showroom Nexity lors de la commercialisation)
Et depuis la rue Gabriel-Husson, on a également une lecture de toute la profondeur du site, vu que j’ai ménagé un porche.
Ces deux axes donnent un peu la noblesse de ce que l’on appelle des « villas » quand on est dans la grande ville, dans le tissu urbain, c’est-à-dire des paysages que l’on aperçoit depuis la grille, depuis la rue, qui font un peu rêver et qui donnent la profondeur de toute la parcelle, et sur lesquels ouvrent les logements.
Pourriez-vous évoquer la genèse du projet Villa Solea ?
Le contact vient d’un accord entre le promoteur Nexity et la Mairie de Romainville, un accord très intelligent : la Mairie avait trois terrains complexes à développer. Et trois terrains pour un seul et même promoteur, ça fait un peu peur, même si les terrains ne sont pas ensemble, répartis sur la commune.
Ils ont alors trouvé cette idée de donner 3 thèmes à ces terrains, avec des parcours liés au développement durable, des opérations ambitieuses en terme environnemental : un premier thème est lié au bois, c’est le projet de Reichen & Robert, terminé maintenant.
Le projet « Villa Respiro » (Reichen & Robert)
Avec Villa Solea, nous sommes sur le thème du jardin d’hiver, de la loggia, de « l’entre-deux ». Je crois que l’on peut dire que l’on est vraiment dans cette idée du paysage interstitiel qui m’est cher : j’aime mélanger paysage et architecture.
Le projet Villa Solea (Jacques Ferrier Architectures)
Quant à la troisième opération, je ne sais pas qui va la faire et où elle est, mais elle est sur le thème du logement sain, c’est-à-dire des matériaux sains, etc…
Ça, c’est donc le montage. Après, il est vrai que nous nous ne faisions pas, jusque là, de logements (et nous allons en faire maintenant, puisque, depuis, nous avons trouvé d’autres opportunités) : Villa Solea restera vraiment le tout premier projet où l’on aura abordé le thème du logement collectif.
Nexity avait vu une publication, connaissait l’agence sur le thème du développement durable : finalement, ils sont venus nous trouver, ce qui nous a donné une opportunité de faire du logement, du logement « intelligent ».
Après, il est vrai qu’avec ce promoteur, on n’a pas le contrôle strict du chantier : cependant, mon Directeur d’agence, Stéphane Vigoureux, va régulièrement sur le site.
Les équipes de maîtrise d’œuvre du promoteur semblent s’être pris de passion pour le projet : quand j’ai visité le chantier, il y a un mois, il étaient tous à fond, je dirais même presque « plus royalistes que le Roi » ! C’est bien fait dans l’esprit, la réalisation me paraît être tout à fait conforme à nos objectifs. Et le promoteur joue bien le jeu, on a vraiment notre mot à dire.
Là, on va bientôt découvrir l’élément crucial, maintenant que le grand parti-pris du volume est fait : l’articulation garde-corps/loggia. Il y a déjà des prototypes sur le site, on voit les couleurs.
On a d’ailleurs « investi », pris une coloriste, Frédérique Thomas, qui collabore avec plusieurs architectes et avec qui nous étions sur le site il y a un mois : elle a notamment œuvré sur un projet de médiathèque dans les Pyrénées, qui a reçu cette année le prix de l’équerre d’argent (NDR architecte lauréate : Pascale Guédot). Cette coloriste nous aide à définir les accords des volets, des pierres, etc.
La médiathèque d’Oloron-Sainte-Marie (Pascale Guédot, architecte)
Combien de collaborateurs de votre agence ont pris part au projet ?
Au pic d’un projet comme celui-ci, 4 personnes interviennent : 3 personnes qui produisent vraiment les plans, et 2 « demi-personnes » qui fournissent 3D et maquettes.
Tout commence sur mon cahier avec des croquis, des esquisses : je ne vais pas vraiment au-delà. Il y a des équipes qui me connaissent bien, et qui à partir de là font des maquettes, voire des dessins 3D. Ensuite, on fait des réunions, on discute et de fil en aiguille le projet prend forme.
Les contraintes fixées par le promoteur ?
La règle du jeu est claire dès le départ : quand vous travaillez sur ce type de programme vous savez que le challenge, le défi, ça va être de faire le maximum de qualité, le maximum d’impression d’espace, de paysage, de diversité, de variété… Le tout dans le cadre d’un budget de promoteur qui est fixé.
Que vous preniez Nexity, Pierre, Paul ou Jacques, vous savez que les opérations de promotion se décident, presque avant même le choix du terrain, à la banque, en fonction des taux de ceci, et de ce que le client peut payer : il y a des équations, et l’on on vous dit c’est comme ça, voilà !
Nexity Apollonia nous a « débauchés », alors même que nous ne faisions pas de logement. Ils travaillent avec pas mal de bons architectes, sont quand même dans l’idée qu’il faut une vraie invention. Nexity Apollonia a été l’un des premiers promoteurs, par exemple, à essayer de mettre un maximum de duplex dans ses programmes.
Duplex sur le projet Villa Solea (vue d’architecte)
Ce n’est donc pas un hasard si l’on s’est retrouvés dans cette aventure, car parmi les promoteurs, ils font vraiment partie de ceux qui font avancer le sujet.
Il n’en reste pas moins que nous sommes avant tout une agence choisie sur des projets qui sont dans la vraie vie, et c’est ce qui me plaît d’ailleurs ! Même si l’on a travaillé sur des musées ou autres, on est toujours habitués à répondre à des contraintes de coût assez strictes, ce qui fait que l’esthétique de l’agence est quand même relativement frugale.
On voit ça sur nos projets de bureaux notamment : même pour les projets « spectaculaires », vous verrez qu’il n’y a pas 36 000 matériaux, des porte-à-faux gigantesques…
Il y a quand même toujours une sorte de bon sens qui crée une esthétique qui moi me convient, c’est-à-dire pas une gesticulation encombrante et qui correspond à un usage je l’espère assez heureux et assez ouvert sur l’avenir.
Par exemple, on n’a pas de contrainte à l’agence, quand on fait du logement, de dire : on fait un dessin de façade et parce que lui il est dans telle partie du dessin, il a droit à un balcon, et là on ne fait pas de balcon parce que ça ferait moche ! Les choses sont assez systématiques : pour Villa Solea, si vous êtes sur une façade à balcons, tout le monde a des balcons ! On ne fait pas des effets maniéristes de façade.
Villa Solea (vue d’architecte)
J’ai vécu deux ans de ma vie dans un logement neuf (je ne citerai pas l’architecte, et pourtant c’est un bon architecte !) : j’avais une cuisine qui donnait sur la terrasse, mais il n’y avait pas de porte ou de fenêtre parce que sur la façade il fallait qu’il y ait un mur blanc nickel ! Là, on se dit vraiment, on déconne là (je dis « on » parce que je suis architecte) !
Nous avons deux autres projets de logement en cours à Montpellier : depuis Villa Solea, on est vraiment dans cette idée que tout part de l’intérieur, que la façade est la résultante de l’usage que l’on veut donner au logement.
Les deux projets de logements collectifs de Jacques Ferrier Architectures à Montpellier
Le projet a-t-il été amendé, a-t-il subi beaucoup de modifications de la part du promoteur ?
Il y a eu des mises au point, mais en fait moi je rêve toujours que sur un projet, il y ait systématiquement, indépendamment de l’esthétique, des choix de matériaux, de couleurs…, une intelligence de la réponse qui fait qu’à un moment on se dit : « C’est ça ! »
Souvent il y a plusieurs approches possibles : mais plutôt que de dire c’est beau / c’est pas beau, il vaut mieux essayer de « trouver » et se dire, « Hop, c’est ça » !
Sur Romainville, quand ils ont vu notre idée de plan masse, qui était vraiment l’idée que je mettais en avant, je crois qu’ils se sont dit tout de suite : « C’est bon, on tient le projet » !
Alors, après, on a du discuter de la répartition des logements, se battre un peu sur les histoires de volets, imposer d’avoir toujours des grandes fenêtres verticales. Il a du y avoir des adaptations, on a du lâcher de part et d’autre, faire des concessions, mais le souvenir que j’en ai, c’est que du moment où l’on a trouvé cette idée de comment s’inséraient le bâtiment sur rue, le deuxième grand bâtiment, et de comment donner du sens à toutes ces petits poches qui paraissaient des éléments « désordre », je pense qu’ils se sont dit : « Là, il y a vraiment une intelligence de l’approche » !
Le découpage des bâtiments, la répartition des appartements, le type d’appartements et leur nombre (studios, T2, T3, T4) vous ont-ils été imposés par le promoteur Nexity ?
Le découpage du projet, c’est nous qui l’avons fait : tout d’abord, le bâtiment sur rue, puis la « maison » dans le petit recoin, là, puis le cœur d’ilot qui était assez grand, où l’on a glissé les deux bâtiments principaux, ensuite le petit bout sur la rue Gabriel-Husson où l’on a pu caser les maisons traversées par le passage cochère, et enfin ce petit bout, « l’oreille », qui se déforme vers l’impasse de la liberté.
Villa Solea (plan masse)
On a créé les volumes, et Nexity nous a suivis complètement dans leur répartition, qui est presque l’apport le plus intelligent que l’on ait fait sur le projet.
D’emblée, c’était comment poser le projet dans ce site complexe ? Ensuite la façon dont ça se passe sur les projets de logement, là c’est vraiment du domaine de l’étude marketing. Ce sont eux qui détiennent la « vérité » et ils vous disent : voilà, à cet endroit là, à tel moment, il y a tant de T3, tant de T4… Il est vrai que les promoteurs ont toujours peur des grands logements : tout ce qui est T4, T5, leur fait très peur ! On vous demande, si vous faites des T5, de pouvoir les rediviser au cas où ils ne se vendraient pas. C’est ce qui s’appelle coller au marché. Ce sont des mécanismes délirants de financement qui font que sur ces répartitions là, on a l’impression qu’on n’a rien à dire.
L’une des grandes inquiétudes des acquéreurs du programme, c’est la luminosité au sein des appartements. D’autant plus que des modifications sont intervenues depuis la réservation, qui tendent plutôt vers une réduction des ouvertures… Est-ce la certification BBC (Bâtiment Basse Consommation) qui en est la raison ?
On a essayé d’ouvrir au maximum, par contre pour les modifications qui ont pu intervenir, je ne suis pas au courant. C’est « dramatique » ! On commence d’ailleurs avec certains architectes à s’élever contre ces normes. Nous nous sommes retrouvés à une quinzaine d’architectes, de plusieurs générations, il y a un mois (lire à ce sujet la « Déclaration de Monaco ») : nous étions tous unanimes à dire que notamment dans le logement, les normes soi-disant vertueuses pour le BBC, la thermique, etc…, faisaient que les ouvertures se réduisaient, ce qui est dramatique. L’un des architectes qui était présent disait que si l’on prenait sa douche à l’ancienne (c’est-à-dire on se mouille, on arrête, on se savonne et on se remouille), l’économie faite là équivaudrait à toute la norme BBC sur tous les bâtiments de logement de France ! C’est-à-dire que tout le monde pourrait avoir à nouveau des grandes fenêtres si l’on acceptait de ne pas laisser couler la douche pendant qu’on se savonne !
Actuellement, on est un peu dans la folie, dans la dé-responsabilisation des gens, ce qui au passage veut dire qu’on considère les gens comme des idiots !
Du coup, on enferme les gens dans des logements qui vont être effectivement plus compacts, un peu façon « thermos », parce qu’on imagine qu’ils ne sauront pas ouvrir la fenêtre l’été quand il fait chaud, et qu’ils ne sauront pas la fermer l’hiver pour chauffer ! On a donc une équation assez pessimiste entre responsabilité des gens mise à zéro et curseur des normes, uniformes pour tout le monde, poussé au maximum.
On avait fait une recherche avec EDF sur le thème du bureau (« Concept Office », en 2004). A l’époque, c’était pourtant moins ardu qu’aujourd’hui, mais j’avais déjà senti venir le vent : j’avais voulu montrer que l’on pouvait faire un programme de bureaux très largement vitré et très performant. On avait modélisé ça sur les ordinateurs du centre de recherche d’EDF et ça marchait !
A un moment donné, soit on dit « Moi, je rends mon tablier et je construis plus » soit on essaie, comme à Villa Solea, de faire du mieux possible en zigzaguant avec ces contraintes.
Alors, on s’exprime, en prenant le risque de se mettre à dos le CSTB et tous ces organismes certificateurs, mais je crois que l’on va continuer à s’exprimer pour dire : « Là, ça suffit ! »
Si vous voulez un bâtiment vraiment performant, oubliez la norme HQE (Haute Qualité Environnementale) ! Visez vraiment la performance mais pas la norme. La norme HQE va produire de la mauvaise qualité de fenêtre, de façade parce que c’est enduit et isolé par l’extérieur… L’un des bâtiments les plus performants que j’ai faits, c’est la Cité de la voile Eric Tabarly qui économise à peu près 60% d’énergie par rapport à un musée normal. Chaque fois que le Maire de Lorient me voit, il me dit : heureusement qu’on n’a pas demandé le label HQE, parce qu’on sait qu’on n’aurait jamais pu faire ce qu’on a fait !
On a par exemple une grande baie vitrée face à la mer protégée par une avancée, mais ça la norme HQE, elle n’en tient pas compte ! C’est comme pour toute norme : l’idée de la singularité, de l’initiative n’est pas prise en compte !
Cité de la Voile Eric Tabarly (Jacques Ferrier Architectures)
Au niveau des matériaux utilisés, pouvez-vous nous préciser pourquoi certains bâtiments (les plus imposants, en R+3) sont construits en brique monomur, alors que les « maisons » (en R+2) sont faites de béton banché, avec une isolation par l’extérieur ?
Là, vous me posez une colle. En fait, c’est le seul de mes projets, mais il ne faut pas que cela vous inquiète, où l’on ne maîtrise pas le chantier. Nexity a aussi des projets avec Ricciotti, ils font ça avec tout le monde : ils ont une équipe chantier très forte et l’on ne maîtrise pas nous, en tant qu’architecte, le chantier.
Par contre, on a fait le concept, on est dépositaire du permis, on est donc assurés : on cotise auprès des assureurs presque au même niveau (il y a une décote parce qu’on ne fait pas le chantier). Nexity a une responsabilité : ils ont l’engagement de respecter le permis, sinon ils ne sont pas conformes.
Ça se passe bien, je le dis parce que j’étais un peu prudent, je trouve que l’équipe de Nexity est très motivée. Le projet n’est pas changé, c’est l’un de leurs projets phare, ils en sont très fiers et très contents.
Mais c’est une culture, les promoteurs (et on est habitués), très agressive dans le côté financier, ils ne prennent pas le temps que l’on prend, nous, les architectes.
La qualité de réalisation nous fait un peu peur, puisque comme dans beaucoup de chantiers de promotion, on devine que c’est le moins-disant financier qui l’emporte sur tel ou tel lot, et que l’entreprise retenue sous-traite après à des prestataires étrangers, qui ont un coût de main d’œuvre moins élevé. Pour être allé plusieurs fois sur le chantier, je me suis rendu compte que beaucoup d’ouvriers semblaient venir de pays de l’est, par exemple…
Le tout premier chantier, je l’ai gagné il y a un certain temps, en 1993, et c’était pourtant pas si gros (le laboratoire de l’Ecole des Mines de Paris, à Evry) : à un moment donné le client s’était énervé car il y avait 70 sous-traitants ! Jeune architecte, j’essayais de communiquer sur le site et personne ne comprenait rien, on devenait fous ! Mais de toute façon, quelle que soit la nationalité, il y a de bons maçons !
Au niveau des matériaux utilisés, peut-on compter sur leur pérennité ?
Ça, c’est le bon côté des normes : vous ne pouvez pas être approximatif aujourd’hui en France là-dessus. Et en plus nous, à l’agence, on aime bien les choses bien faites : Stéphane Vigoureux, mon Directeur d’agence, est un obsédé de la qualité constructive !
On s’oriente vers une durée de travaux de 2 ans : n’est-ce pas un peu long pour un chantier de ce type ?
Le tarif minimum c’est 18 mois, quoiqu’on dise finalement : vous mettez un peu d’intempéries, de décalages dus à des impondérables…
Concernant les aménagements paysagers du programme, il semblerait qu’en raison de restrictions budgétaires, les études fournies par l’Atelier Jours, ne soient pas appliquées, et que l’on s’oriente plutôt vers une solution a minima, développée en interne par Nexity…
On en a reparlé pendant la visite : je ne désespère pas que les études de l’Atelier Jours soient utilisées, voire que l’Atelier Jours retravaille dessus, même s’ils ont fait une étude assez précise.
J’ai lourdement insisté, car il est vrai que c’est le point du projet qui est pour l’instant un peu mis en sommeil : les équipes de Nexity ont avant tout les yeux fixés sur la construction, sur les délais et sur les coûts. Le travail de paysage, ils ne se sont peut-être pas encore rendu compte à quel point il allait être essentiel. Mais je ne désespère pas : je trouve vraiment qu’ils ont un bel enthousiasme pour le projet ! Ce serait bien que je revoie l’Atelier Jours, avec qui je travaille, d’ailleurs, sur une autre opération à Lille. Ce qu’ils avaient fait sur le projet était assez économe : il faudrait peut-être qu’à un moment donné, quand Nexity sera vraiment content du travail de l’architecte, on organise un rendez-vous sur place avec l’Atelier Jours pour voir si on ne peut pas utiliser leur étude.
Le projet d’Atelier Jours pour Villa Solea (cliquer pour agrandir)
L’opération de Reichen & Robert, Villa Respiro, conçue pour le même promoteur, Nexity, ne semble pas faire l’unanimité parmi les Romainvillois. Certains ont même parlé de « porte-containers en perdition » … Qu’en pensez-vous ?
Je crois que l’opération de Reichen & Robert est assez bien faite : j’en ai vu un bout depuis la rue. Et pour l’avoir montrée au Pavillon de l’Arsenal, dans le cadre de l’exposition « Architecture=durable », je crois vraiment que c’est un bon projet.
Après, c’est le problème du logement : il y a une inertie culturelle dingue ! Si vous comparez par rapport à un ordinateur ou une voiture, le logement c’est comme si l’on revenait trois générations en arrière, voire plus. Les gens, ça ne les choque pas d’habiter dans des logements de type haussmannien, alors que tout leur univers change ! Il y a toujours une inertie, c’est très compliqué….
C’est pourquoi je ne voulais pas faire de logement : j’attendais d’avoir une opportunité pour ne pas avoir à faire un truc kitsch, néo-ceci, néo-cela, mais faire quelque chose qui ne soit pas là non plus pour faire peur aux gens ! Il y a des logements que l’on voit partout en ce moment dans les revues, situés pour la plupart en Europe du Nord : mais quand vous êtes sur place, à Rotterdam par exemple, et que vous voyez le résultat, vous vous dites : est-ce que moi j’habite là ? Pour le coup, vous vous retrouvez dans un bout de porte-à-faux sans balcon. Moi, si j’ai un logement, j’ai envie de me retrouver avec un logement habitable, et ça quel que soit le style !
La première construction faite par Bofill à Montpellier : c’est très bien construit, c’est « magnifique », mais les gens, à l’intérieur, ils habitent à l’intérieur d’une coloc’ ! Et ça, c’est juste pas possible !
Bon là, on construit pour Nexity à Romainville et pas pour le milliardaire X à Rotterdam : on est dans l’arsenal des règles françaises, dans un marché qui est je ne sais pas à quel prix ?
3500 euros, en moyenne, du m2 !
C’est pas mal ! Du neuf à 3500 euros, c’est pas mal !
Que pensez-vous de l’environnement du projet ? Quand nous avons évoqué à notre famille et amis que nous allions acheter en Seine-Saint-Denis, certains se sont montrés circonspects…
La question du Grand Paris, c’est un autre scandale de Paris ! C’est cette idée de dire qu’il y a un Paris « intra-muros »… et le reste ! J’ai eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur le sujet : il faut changer les noms, les codes postaux ! Comme on dit Paris-La Défense, il faudrait dire Paris-Romainville, Paris-Saint-Denis ou Paris-Montrouge !
De voir qu’on entasse le palais de justice aux Batignolles, parce que statutairement il ne peut pas sortir de Paris, ou le « Pentagone » à la française à Balard (Nicolas Michelin, pour Bouygues), c’est un vrai scandale ! Ce « Pentagone », c’est 340 000 m2 dans Paris, des bagnoles en plus, des gens qu’il va falloir transporter. Sur ces 10 000 à 12 000 personnes, combien vont pouvoir se payer un logement dans Paris ? Vraiment, on marche sur la tête : le « Pentagone », il fallait le mettre à Versailles ou à Satory, là où ils ont un camp militaire vide ! De la même manière, il fallait mettre Roland-Garros à Gonesse ! C’est un vrai scandale, c’est énervant !
C’est aussi pour ça que j’ai voulu, avec ce projet à Romainville, donner une qualité d’habitat et de rapport à la nature qu’on ne pouvait pas trouver dans Paris. Et même une espèce de « luxe » que l’on trouve dans certaines villas du 16ème arrondissement, où, comme je le disais au début, derrière la grille il y a le jardin.
J’ai habité à Saint-Maur pendant 4 ou 5 ans : c’est l’une de mes périodes les plus heureuses, pour moi qui suis un provincial. Pour les copains, c’était pareil : « Ah, t’habites plus Paris, t’habites Saint-Maur » ?
Alors qu’en fait c’est une façon d’habiter, de rompre avec la densité du travail qui est hyper-agréable ! Je crois que ça m’influence sur mes projets. Quand j’enseigne à mes étudiants, je leur dis de faire attention à ne pas être schizophrènes : quand vous êtes architecte, tachez de ne pas oublier complètement comment vous aimeriez habiter !
Quand je dessine un projet, notamment là à Romainville, j’y mets ce que moi j’aimerais y trouver, c’est-à-dire ce travail sur l’échelle, ce rapport au paysage, ces espaces vides. Avec comme idée derrière tout ça : « Si j’habite à Romainville, au moins je trouve une qualité que je ne peux pas trouver à Paris aujourd’hui » !
Des endroits où il y a des rapports comme ça, on les connaît, il y a au maximum dix îlots dans Paris, comme la villa « machin » dans le 16ème. Des endroits comme ça, ils sont rarissimes !
Ce qui est moins bien c’est de voir certaines opérations qui reproduisent la compacité haussmannienne alors qu’on n’est pas dans Paris, c’est totalement absurde !
Sans cette idée de code postal, une spécificité bien française, on débloquerait plein d’équipements : on pourrait avoir des Ministères, des sièges sociaux, Roland-Garros… Mais, au moins, dans la façon d’habiter, j’ai une qualité là, en dehors de Paris, que je ne trouve pas ailleurs ! »
(Propos recueillis par Jérôme Crépieux)